Abus de recours en matière de procédure

De Le carnet de droit pénal
Cette page a été mise à jour ou révisée de manière substantielle pour la dernière fois janvier 2015. (Rev. # 19882)

Principes généraux

Voir également: Recours en vertu de la Charte

Les recours dont dispose un requérant en mesure d'établir un abus de procédure comprennent une suspension des procédures et des dépens.

Suspension des procédures

Voir également: Suspension des procédures

Un tribunal dispose d'un « pouvoir discrétionnaire résiduel » pour ordonner une suspension des procédures lorsqu'il constate un abus de procédure.[1] Cela s’appliquera dans les cas où « contraindre un accusé à comparaître en justice violerait les principes fondamentaux de justice qui sous-tendent le sens du fair-play et de la décence de la communauté et empêcherait l’abus de la procédure judiciaire par le biais de procédures oppressives ou vexatoires ».[2]

Compétence pour suspendre les procédures

Un juge d'une cour provinciale a la compétence pour rendre une ordonnance visant à remédier à tout abus de procédure.[3]

Seules les cours supérieures ont la compétence pour suspendre les procédures sur une requête pour abus de procédure non fondée sur la Charte.[4]

Un juge d'enquête préliminaire ne peut pas suspendre la procédure pour cause d'abus de procédure.[5]

Un juge d'une cour provinciale ne peut suspendre une instance pour abus de procédure avant que la défense n'ait fait son choix.[6]

Fardeau de la preuve

Il incombe à l'accusé de prouver que la suspension est appropriée. Il s'agit d'un fardeau élevé, car les accusations ne peuvent jamais faire l'objet de poursuites et la suspension ne devrait donc être accordée que dans les « cas les plus manifestes ».[7]

Conditions préalables à l'ordonnance d'un sursis

Quel que soit le motif de l'abus de procédure, un sursis ne peut être prononcé que lorsque :[8]

  1. le préjudice causé par l'abus en question se manifestera, se perpétuera ou s'aggravera par le déroulement du procès ou par son résultat ; et
  2. aucun autre recours n'est raisonnablement capable de supprimer ce préjudice.

Il doit être démontré que « la conduite reprochée a violé les principes fondamentaux de justice qui sous-tendent le sens du fair-play et de la décence de la communauté ».[9]

Le recours à la suspension des procédures est un recours prospectif et non rétrospectif.[10]

Le bien-fondé d'une suspension « dépend de l'effet de la conduite équivalant à un abus de procédure ou à un autre préjudice sur l'équité du procès. »[11]

Cas limites

Lorsqu'il existe une incertitude quant à savoir si une suspension est justifiée pour une constatation de violation de la Charte, le tribunal doit se demander (en plus des deux critères standards) s'il convient « d'équilibrer les intérêts qui seraient servis par l'octroi d'une suspension des procédures par rapport à l'intérêt de la société à obtenir une décision finale sur le fond. »[12] Lorsque l'inconduite est « flagrante », elle ne devrait jamais être « dépassée par une préoccupation publique passagère » selon laquelle il existe un intérêt sociétal impérieux à une audience complète.[13]

Norme de contrôle

La décision de suspendre une procédure est une décision discrétionnaire qui fait l'objet d'une déférence et ne devrait intervenir que lorsqu'il y a eu une erreur de droit ou si la décision équivaut à une « injustice ».[14]

  1. R c Jewitt, 1985 CanLII 47 (SCC), [1985] 2 RCS 128, per Dickson CJ
    R c O’Connor, 1995 CanLII 51 (SCC), [1995] 4 RCS 411, au para 73
  2. Jewitt, supra
    see also R c Conway, 1989 CanLII 66 (SCC), [1989] 1 RCS 1659, per L'Heureux‑Dubé J ("where the affront to fair play and decency is disproportionate to the societal interest in the effective prosecution of criminal cases, then the administration of justice is best served by staying the proceedings.")
  3. Jewett, supra
    R c Wood, 2007 NSPC 39 (CanLII), par Tufts J
  4. R c Maxner, 1981 CanLII 3285 (NS CA), (1981), 22 CR (3d) 193, per Jones JA
    Re R. and Lizee, 1978 CanLII 2463 (BC SC), 42 CCC (2d) 173, (BCSC), par Rae J
    R c Lebrun, 1978 CanLII 2429 (BC CA), 45 CCC (2d) 300, 7 CR (3d) 93, [1979] 1 WWR 764 (BCCA), par Bull JA
  5. R c Stupp, Winthrope and Manus, 1982 CanLII 1897 (ON SC), 2 CCC (3d) 111, par Craig J
  6. R c Zaluski, 1983 CanLII 2384 (SK QB), 7 CCC (3d) 251, par Matheson
  7. O'Connor, supra
    R c Regan, 2002 CSC 12 (CanLII), [2002] 1 RCS 297, par LeBel J, au para 53
    R v Taillefer; R v Duguay, 2003 CSC 70 (CanLII), [2003] 3 RCS 307, par LeBel J, au para 117 (should be ordered "only in exceptional circumstances")
    R c Keyowski, 1988 CanLII 74 (SCC), [1988] 1 RCS 657, par Wilson J
  8. Regan, supra
  9. R c Leduc, 1993 CanLII 80 (SCC), [1993] 3 RCS 641, par Sopinka J, ("The power to stay proceedings on the ground of abuse of process must only be exercised in the clearest of cases and when it is shown that the conduct complained of violated those fundamental principles of justice which underlie the community’s sense of fair play and decency.")
  10. Regan, supra, au para 54
  11. R c La, 1997 CanLII 309 (SCC), [1997] 2 RCS 680, par Sopinka J, au para 27 ("The appropriateness of a stay of proceedings depends upon the effect of the conduct amounting to an abuse of process or other prejudice on the fairness of the trial. ... Unless it is clear that no other course of action will cure the prejudice that is occasioned by the conduct giving rise to the abuse, it will usually be preferable to reserve on the application.")
  12. Regan, supra, au para 57
  13. Regan, supra, au para 57
  14. R c Cloutier, 2011 ONCA 484 (CanLII), 272 CCC (3d) 291, par Weiler JA, au para 71 ("An appellate court will only be justified in interfering with the decision if the trial judge misdirected himself or herself on the law or if the decision is so clearly wrong as to amount to an injustice")

Procédure

L'examen d'une suspension de procédure pour abus de procédure devrait être « réservé » jusqu'à ce que « tout ou partie des preuves » de l'affaire soient entendues (généralement après le procès) de manière à ce qu'il existe un dossier de preuves sur les circonstances de l'abus.[1]

Il a été dit que « sauf lorsque la pertinence d’un sursis est manifeste dès le début de la procédure », le juge devrait réserver toute requête en sursis jusqu’à ce que les preuves du procès aient été entendues afin que l’ampleur du préjudice puisse être évaluée.[2]

Il appartient au tribunal de décider de la suspension de l'instance immédiatement ou après avoir entendu tout ou partie des éléments de preuve.[3]

Si une demande de suspension est rejetée à un stade antérieur de la procédure, elle peut être renouvelée en cas de changement important des circonstances.[4]

Procès avec jury

Le juge n'a pas compétence pour examiner une demande de sursis après que le jury a rendu son verdict.[5]Toute demande de sursis doit être présentée avant que le jury ne commence ses délibérations.[6] Au minimum, elle doit être présentée avant que le jury ne rende son verdict.[7]

  1. R c La, 1997 CanLII 309 (SCC), [1997] 2 RCS 680, par Sopinka J, au para 27 ("...the trial judge has a discretion as to whether to rule on the application for a stay immediately or after hearing some or all of the evidence. Unless it is clear that no other course of action will cure the prejudice that is occasioned by the conduct giving rise to the abuse, it will usually be preferable to reserve on the application.")
    R c Andrew (1992), 60 OAC 324(*pas de liens CanLII) , au p. 325 (“is patent and clear, the preferable course for the court is to proceed with the trial and then assess the issue of the violation in the context of the evidence as it unfolded at trial”)
  2. R c Bero, 2000 CanLII 16956 (ON CA), 151 CCC (3d) 545, par Doherty JA ("This Court has repeatedly indicated that except where the appropriateness of a stay is manifest at the outset of proceedings, a trial judge should reserve on motions such as the motion brought in this case until after the evidence has been heard. The trial judge can more effectively assess issues such as the degree of prejudice caused to an accused by the destruction of evidence at the end of the trial")
  3. La, supra, au para 27 ("...the trial judge has a discretion as to whether to rule on the application for a stay immediately or after hearing some or all of the evidence")
  4. La, supra, au para 28 ("even if the trial judge rules on the motion at an early stage of the trial and the motion is unsuccessful at that stage, it may be renewed if there is a material change of circumstances")
  5. R c Grant (I.M.), 2009 MBCA 9 (CanLII), 240 CCC (3d) 462, par Chartier JA
  6. , ibid., au para 21 ("But what is absolutely certain in terms of timing is that the stay request and the decision on its merits must be made before the jury starts its deliberations.")
  7. R c Henderson, 2004 CanLII 33343 (ON CA), 189 CCC (3d) 447, par Feldman JA("the motion for a remedy must be brought before the jury’s verdict is registered")

Dépens

Voir également: Dépens

Les dépens ne sont pas automatiquement exigés à la suite d'une constatation d'abus de procédure. Ils ne le sont que dans les cas « rares et exceptionnels ».[1]

La conduite doit aller au-delà d'une « défaillance par inadvertance ou négligence » et se transformer en « imprudence, indifférence consciente au devoir ou, consciemment ou non, en un écart marqué et inacceptable par rapport aux normes habituelles et raisonnables de poursuite ».[2] Les conséquences doivent équivaloir à « une violation ou un déni d'un droit indiscutable et clairement mesurable ».[3]

L'objectif des frais, qui est de garantir le respect ou de manifester la désapprobation de la conduite préjudiciable grave, doit être « fondé sur des circonstances de besoin compensatoire clair et évident ».[4]

  1. R c Cole, 2000 NSCA 42 (CanLII), 143 CCC (3d) 417, par Bateman JA, aux paras 18, 50 à 51
  2. , ibid., au para 52
  3. , ibid., au para 52
  4. , ibid., au para 52